Ces pères fondateurs oubliés de l’histoire

Presse

Valais: ils sont les pères fondateurs du droit de vote des femmes et l’histoire ne s’en souvient pas

par Noémie Fournier 
Le Nouvelliste le 06.04.20

Il y a cinquante ans, les Valaisans acceptaient à plus de 72% l’octroi du droit de vote des femmes sur le plan cantonal. Pour marquer le coup, «Le Nouvelliste» revient sur cette page importante de l’histoire de notre canton. Dans ce premier épisode, retour sur la genèse de la motion. 

Ils sont six. Six hommes. Le 31 janvier 1966, François Couchepin, Charles Cleusix, Charles-Marie Crittin, Charly Gaillard, Roger Marin et Jean Vogt déposent une motion qui défend l’introduction du suffrage féminin au niveau cantonal. L’histoire ne se souvient pas d’eux pour ça. Aucune rue ne porte leur nom. Ce sont des protagonistes sans gloire, des pères fondateurs sans mont Rushmore.

Il faut dire que ces députés, tous radicaux du district de Martigny, ont «simplement» couché sur papier un droit qu’ils trouvaient vital. Ils ont «simplement» été les porte-voix de l’Association valaisanne pour le suffrage féminin (AVPSF), conduite dès 1946 par des femmes qui, elles, ne pouvaient siéger au Grand Conseil.

Aujourd’hui, cinq de ces six hommes sont décédés, et les souvenirs font défaut au dernier. François Couchepin aura néanmoins donné son nom à la motion.

Retour sur ce texte fondateur, né sur les pistes de ski, et dont le succès annoncera celui, une année plus tard, de l’introduction du droit de vote des femmes sur le plan fédéral.

FRANÇOIS COUCHEPIN: DÉCIDÉ ET DÉSINVOLTE 

«C’était un dimanche après-midi, sur les pistes de Verbier.» Anne-Marie Couchepin est une femme volontaire et engagée. Ce n’est pas essentiel au récit mais c’est pour éviter de commencer par la décrire comme l’épouse de François Couchepin. Ce 30 janvier 1966, le couple a une discussion animée sur les télésièges bagnards. Tous deux en sont convaincus: le droit de vote des femmes est une nécessité, une urgence, une évidence. «Je dépose une motion demain matin», conclut le député, futur chancelier de la Confédération.

«Quand on y repense, c’était assez désinvolte», s’en amuse Anne-Marie Couchepin. L’engagement est tenu et la motion, signée de la délégation radicale de Martigny, est déposée le lendemain.

François Couchepin. © Le Nouvelliste/Archives

François Couchepin. © Le Nouvelliste/Archives

Ce n’est toutefois pas la première fois qu’une telle demande émane du Parlement. En 1945, le Grand Conseil rejette la motion de Peter von Roten pour l’égalité politique entre les sexes. Vingt ans plus tard, les temps ont changé. Le statut de la femme a évolué. Les voix féministes se sont élevées, et les injustices sont dénoncées. «Quand nous nous sommes mariés, nous vivions sur mon salaire d’enseignante comme François était encore étudiant», se souvient Anne-Marie Couchepin. «Et bien que ce soit mon argent, je devais avoir sa permission pour user du carnet de chèque.»François Couchepin. © Le Nouvelliste/ArchivesCe n’est toutefois pas la première fois qu’une telle demande émane du Parlement. En 1945, le Grand Conseil rejette la motion de Peter von Roten pour l’égalité politique entre les sexes. Vingt ans plus tard, les temps ont changé. Le statut de la femme a évolué. Les voix féministes se sont élevées, et les injustices sont dénoncées. «Quand nous nous sommes mariés, nous vivions sur mon salaire d’enseignante comme François était encore étudiant», se souvient Anne-Marie Couchepin. «Et bien que ce soit mon argent, je devais avoir sa permission pour user du carnet de chèque.»

Une autre époque vous dites? A l’échelle de l’humanité, c’était hier.

NULLE PART LA PAIX DES MÉNAGES N’EN A SOUFFERT

Le 2 février 1967, la motion Couchepin est acceptée par le Grand Conseil. Une première victoire pour les partisans – et les partisanes – du suffrage féminin. Mais le chemin est encore long avant la votation populaire où, devrait-on dire, la votation masculine.

Le 22 mai de la même année, le Conseil d’Etat prend position dans son message au Parlement. Morceaux choisis: «Partout où il a été introduit, le suffrage féminin a donné de bons résultats. Ni la paix des ménages ni la dignité de la femme n’en ont souffert.»Partout où il a été introduit, le suffrage féminin a donné de bons résultats. Ni la paix des ménages ni la dignité de la femme n’en ont souffert.

«On doit se demander pourquoi les hommes persistent, en aussi grand nombre, à refuser le droit de vote aux femmes. Il semble qu’il s’agisse d’une question d’égoïsme et de fierté masculine. Peu à peu dépossédés de leurs prérogatives ancestrales de par la force des choses, les hommes s’attachent jalousement à la dernière qui leur reste: l’exercice des droits politiques.»

«Les luttes politiques ont, dans bien des communes, un caractère si âpre et déplaisant que l’homme répugne à y voir les femmes directement mêlées.»

Le texte est signé du président du Conseil d’Etat, Marcel Gross, et du chancelier d’Etat, Norbert Roten. «Tous deux ont été membres du comité cantonal de l’AVPSF», rappelle l’historienne Raphaëlle Ruppen Coutaz, dans son étude «La conquête du suffrage féminin en Valais». Leur conclusion est donc prévisible: «La reconnaissance des droits politiques aux femmes est un postulat de la justice et de la dignité humaine. La femme est, à l’égalité de l’homme, un être humain à part entière, selon l’expression à la mode, et elle a droit à toutes les prérogatives rattachées à la personne.»

En conclusion, le message demande ainsi à la Haute Assemblée «de bien vouloir reconnaître opportune la modification de la Constitution en vue de l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux femmes».

Le Parlement y abonde à l’unanimité moins une voix, celle du conservateur André Savioz. On y reviendra.

TENTATIVES DE SABOTAGE

Sous prétexte de la lenteur des travaux préparatoires, «l’exécutif fait en sorte que les femmes, en admettant que le suffrage soit accepté, ne puissent pas participer aux prochaines élections du Conseil d’Etat et du Grand Conseil», écrit Raphaelle Ruppen Coutaz.

Les discussions sur le suffrage féminin sont reprises en septembre 1967, puis véritablement en novembre 1968. Là, André Savioz clame une nouvelle fois son désaccord: «Il est inutile, aujourd’hui, au Grand Conseil, d’être tous unanimes, tous partisans de l’octroi du suffrage féminin et demain, quand nous serons seuls devant l’urne, nous voterons non. Je préfère dire aujourd’hui que je suis réticent et ne pas tromper ceux qui travaillent honnêtement pour l’introduction du suffrage féminin.»

Un autre député conservateur propose que le suffrage féminin soit d’abord institué au niveau communal et un troisième, craignant d’imposer aux femmes une chose qu’elles ne voudraient pas, glisse l’idée de consulter ces dernières avant de soumettre l’objet en votation.

C’en est trop pour François Couchepin, qui juge ces suggestions inacceptables. «Je pense que les personnes qui veulent véritablement s’opposer au droit de vote des femmes doivent avoir le courage de le dire au lieu de faire des propositions qui sont en fait des actes de sabotage.» Ces propositions sont des actes de sabotage.

L’homme est entendu. Le Parlement accepte à l’unanimité, moins une voix, celle d’André Savioz, de soumettre l’objet en votation. 

Le rendez-vous est pris. Le 12 avril 1970, les Valaisans voteront, et plébisciteront, l’introduction du droit de vote de femmes au niveau cantonal.