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DE LA LUTTE à L’URNE – le NF du 7.04.20

COMME UNE GRANDE Le 6 juin 1971, les citoyennes valaisannes votent pour la toute première fois de leur histoire. A Sion, une femme entend bien mettre elle-même son bulletin dans l’urne, sous le regard amusé de Michel Dubuis, conseiller communale. Le Nouvelliste

De la lutte à l’urne

C’était il y a cinquante ans. Le 12 avril 1970, les Valaisans octroient le droit de vote et d’éligibilité des femmes sur le plan cantonal. A l’aide de nos archives, vivez ou revivez ce grand moment de l’histoire de notre canton.

PAR NOEMIE.FOURNIER@LENOUVELLISTE.CH

L’échec est cuisant. Nous sommes le 1er février 1959. La Suisse se prononce sur le suffrage féminin au niveau fédéral et la défaite est sévère. 67% du corps électoral s’oppose à l’introduction du droit de vote des femmes et le taux de participation – 66% – est le plus élevé depuis une quinzaine d’années. «Cela va forcer les suffragistes à recommencer par le commencement», note, satisfait, «Le Nouvelliste» d’alors. 

Car pendant la campagne, le quotidien valaisan n’a pas caché son désaccord. «Parler politique entre femmes, c’est parler dentelles entre hommes.» «Même pour la mode les femmes font confiance à l’homme. L’exemple des grands couturiers en est une preuve.» «La femme suisse sait depuis toujours qu’elle peut gouverner l’homme sans droit de vote, c’est pourquoi elle s’en passe volontiers.»

Ces petits slogans, non signés mais tout à fait révélateurs, que l’historienne Raphaëlle Ruppen Coutaz a repéré pour son étude «La conquête du suffrage féminin en Valais», étaient disséminés dans les pages d’un journal valaisan alors en mains d’André Luisier. 

Le 30 janvier 1959, une semaine à peine avant le scrutin, ce dernier signe un édito éloquent. Titré «Je suis pour et je voterai contre», ce billet attaque de front la manière de procéder et l’empressement des suffragistes. «Comme s’il y avait le feu à la grange, on se précipite, on bouleverse notre belle tradition fédéraliste pour mieux se persuader que c’est une affreuse injustice, une indicible honte de vivre aux côtés de femmes privées de ce droit mirobolant.» 

Bref. Pour André Luisier, on ne commence pas la construction d’une maison par son toit. Et d’ailleurs, «pourquoi leur imposer un droit, plus: un devoir que la plupart ne se sentent ni désireuses ni prêtes à accomplir. Est-ce vraiment si honteux que la majorité des femmes suisses fassent entièrement confiance aux hommes dans la pratique unique au monde de la démocratie directe?» 

Les suffragettes, ces emmerdeuses

«Du paternalisme», commente Liliane Varone. Journaliste en ce temps-là, la Valaisanne se souvient de l’atmosphère toute particulière qui règne alors dans le canton. «Le problème, c’est que les suffragettes étaient des femmes d’âge mûr, majoritairement célibataires, qui n’étaient pas prises au sérieux.» En un mot, des emmerdeuses. «Pour beaucoup, ces femmes avaient soit un problème de caractère, soit un problème de fesse», résume Liliane Varone. 

Emmenées par Renée de Sépibus, fondatrice et présidente de l’Association valaisanne pour le suffrage féminin (AVPSF) depuis sa création en 1945, les suffragettes – et suffragistes, la section valaisanne est la première du pays à accepter les hommes – se donnent corps et âme pour gagner en influence et faire entendre leurs revendications.

L’AVPSF, appuyée par l’Association suisse pour le suffrage féminin, publie des informations et des articles dans les journaux, organise de nombreuses conférences, mobilise les élites politiques et religieuses, use de la propagande personnelle afin de rendre visible la question du suffrage féminin. «Les faits prouvent que la majorité des gens intelligents et cultivés nous soutient. Si les masses sont encore réfractaires, c’est par ignorance. Il est donc de notre devoir de les éclairer», peut-on lire sur le brouillon d’un discours de Renée de Sépibus, diffusé par l’historienne Raphaëlle Ruppen Coutaz.  L’AVPSF, appuyée par l’Association suisse pour le suffrage féminin, publie des informations et des articles dans les journaux, organise de nombreuses conférences, mobilise les élites politiques et religieuses, use de la propagande personnelle afin de rendre visible la question du suffrage féminin. «Les faits prouvent que la majorité des gens intelligents et cultivés nous soutient. Si les masses sont encore réfractaires, c’est par ignorance. Il est donc de notre devoir de les éclairer», peut-on lire sur le brouillon d’un discours de Renée de Sépibus, diffusé par l’historienne Raphaëlle Ruppen Coutaz. 

En 1966, la motion Couchepin, qui défend l’introduction du suffrage féminin au niveau cantonal, est déposée auprès du Grand Conseil. Trois ans plus tard, Hermann Pellegrini, futur rédacteur en chef du «Nouvelliste», prend la présidence de l’AVPSF. Il deviendra le visage et l’interlocuteur incontournable en matière de suffrage féminin, suffrage qui participe selon lui à une meilleure définition du mot démocratie et que «les femmes ne considèrent pas comme un dû mais comme une conséquence normale de la place qu’elles occupent dans la vie économique, sociale et intellectuelle du pays». 

Ça va venir alors autant maintenant 

La campagne est assez détendue. «Il y avait une espèce de condescendance, ou un sentiment d’obligation», se souvient Liliane Varone. Le suffrage féminin allait venir alors autant maintenant. «Comme s’ils ne voulaient pas, une fois de plus, passer pour les vieux Valaisans conservateurs.» 

«Le Nouvelliste», lui, fait quasi volte-face. Contrairement à 1959, il offre une grande place dans ses colonnes aux partisans du suffrage féminin et ne manque pas de rappeler la portée historique du vote. Les trois semaines qui le précèdent, presque toutes les unes font mention du scrutin à venir. 

Le 26 mars 1970, à dix-sept jours du vote et sous une photo qui présente le tout nouvel équipage fraîchement formé d’Apollo 13, le journal rappelle la position du Conseil d’Etat sur le sujet. «Ce n’est pas en limitant ses préoccupations au cercle étroit de la famille, mais en s’intéressant aux questions qui regardent l’ensemble de la société, que la femme sera en mesure de faire de ses enfants non des égoïstes, mais des hommes et des citoyens. Le fait que l’homme et la femme voient et jugent les choses sous un angle différent n’est pas une raison pour négliger l’opinion de la femme. L’octroi des droits politiques à la femme n’est pas lié à la question de savoir si quelque chose changera ou ne changera pas après par rapport à avant. Il s’agit, en l’occurrence, de savoir si l’on a le droit de se priver des femmes qui veulent participer à la vie de la cité à l’heure ou beaucoup d’hommes s’en désintéressent.»

La veille du scrutin, sans trop se positionner, l’éditorial d’André Luisier est une injure à l’abstentionnisme. «Dans les grandes occasions, les citoyens valaisans se sont toujours distingués par leur participation aux urnes. Cette fois, l’occasion est véritablement historique. La manquer constituerait bien plus qu’une erreur. Ce serait une faute.» 

Le Jour J

12 avril 1970. Le jour J. «Le Nouvelliste» a été entendu et le 2/3 de l’électorat se rend aux urnes. Le score est sans appel. 26 263 oui pour 9895 non. Presque trois contre un. Le score le plus net enregistré jusqu’alors. «C’est véritablement un «oui» de grand cœur à la femme valaisanne», titre le lendemain «Le Nouvelliste». Sept communes seulement refusent l’objet. Dans le Valais romand, elles ne sont que deux: Savièse et Lens. Une seule voix départage les Lensards, deux les Saviésans. «Ces communes s’aligneront volontiers sur l’imposante majorité cantonale», écrit André Luisier. 

Ce résultat est décrit comme «un hommage rendu à la femme valaisanne». Mais celle-ci ne descend pas dans la rue pour célébrer cette journée que tout le monde décrit comme historique. Plus qu’un moment pivot, le 12 avril 1970 n’est que la première étape d’une longue lutte en matière de reconnaissance des droits. Si elles ont désormais celui de voter, les femmes sont encore, dans bien des domaines de leur vie courante, assistée de leur mari. 

Plus qu’un droit, un devoir

«Le Nouvelliste» tient à le rappeler dès le lendemain du scrutin: «Voter est un droit, certes, mais c’est un DEVOIR.» En majuscule dans le texte. «Oh, nous ne demandons pas à nos citoyennes d’être plus assidues que les hommes. Nous les prions simplement de l’être autant. » 

Le succès du scrutin fait grand bruit dans toute la Suisse. On raconte que si même le Valais, ce Vieux-Pays, accepte le suffrage féminin, alors le droit de vote des femmes au niveau fédéral, dont la votation est attendue l’année suivante, sera une sinécure. La prophétie se réalise le 7 février 1971 puisque l’objet est accepté à 66% des voix. En Valais le score est incontestable: c’est oui à quatre contre un. 

Elles prennent, enfin, le chemin des urnes

Le 6 juin 1971, les femmes prennent le chemin des urnes pour la toute première fois. Les objets sont fédéraux: le régime financier de la Confédération et la protection de l’homme et de son milieu naturel. De nombreuses Valaisannes se sont endimanchées pour l’occasion. 

A Martigny, les isoloirs sont entourés d’un parterre de fleurs pour accueillir dignement les nouvelles électrices. Le taux de participation, de 25%, est faible, et il sera encore pire, 17%, en automne, pour les premières votations cantonales ouvertes aux femmes. «Il n’y a pas de quoi pavoiser», commente «Le Nouvelliste».

Si le suffrage féminin est entériné, le réveil civique, lui, somnole encore.

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Ces pères fondateurs oubliés de l’histoire

Valais: ils sont les pères fondateurs du droit de vote des femmes et l’histoire ne s’en souvient pas

par Noémie Fournier 
Le Nouvelliste le 06.04.20

Il y a cinquante ans, les Valaisans acceptaient à plus de 72% l’octroi du droit de vote des femmes sur le plan cantonal. Pour marquer le coup, «Le Nouvelliste» revient sur cette page importante de l’histoire de notre canton. Dans ce premier épisode, retour sur la genèse de la motion. 

Ils sont six. Six hommes. Le 31 janvier 1966, François Couchepin, Charles Cleusix, Charles-Marie Crittin, Charly Gaillard, Roger Marin et Jean Vogt déposent une motion qui défend l’introduction du suffrage féminin au niveau cantonal. L’histoire ne se souvient pas d’eux pour ça. Aucune rue ne porte leur nom. Ce sont des protagonistes sans gloire, des pères fondateurs sans mont Rushmore.

Il faut dire que ces députés, tous radicaux du district de Martigny, ont «simplement» couché sur papier un droit qu’ils trouvaient vital. Ils ont «simplement» été les porte-voix de l’Association valaisanne pour le suffrage féminin (AVPSF), conduite dès 1946 par des femmes qui, elles, ne pouvaient siéger au Grand Conseil.

Aujourd’hui, cinq de ces six hommes sont décédés, et les souvenirs font défaut au dernier. François Couchepin aura néanmoins donné son nom à la motion.

Retour sur ce texte fondateur, né sur les pistes de ski, et dont le succès annoncera celui, une année plus tard, de l’introduction du droit de vote des femmes sur le plan fédéral.

FRANÇOIS COUCHEPIN: DÉCIDÉ ET DÉSINVOLTE 

«C’était un dimanche après-midi, sur les pistes de Verbier.» Anne-Marie Couchepin est une femme volontaire et engagée. Ce n’est pas essentiel au récit mais c’est pour éviter de commencer par la décrire comme l’épouse de François Couchepin. Ce 30 janvier 1966, le couple a une discussion animée sur les télésièges bagnards. Tous deux en sont convaincus: le droit de vote des femmes est une nécessité, une urgence, une évidence. «Je dépose une motion demain matin», conclut le député, futur chancelier de la Confédération.

«Quand on y repense, c’était assez désinvolte», s’en amuse Anne-Marie Couchepin. L’engagement est tenu et la motion, signée de la délégation radicale de Martigny, est déposée le lendemain.

François Couchepin. © Le Nouvelliste/Archives

François Couchepin. © Le Nouvelliste/Archives

Ce n’est toutefois pas la première fois qu’une telle demande émane du Parlement. En 1945, le Grand Conseil rejette la motion de Peter von Roten pour l’égalité politique entre les sexes. Vingt ans plus tard, les temps ont changé. Le statut de la femme a évolué. Les voix féministes se sont élevées, et les injustices sont dénoncées. «Quand nous nous sommes mariés, nous vivions sur mon salaire d’enseignante comme François était encore étudiant», se souvient Anne-Marie Couchepin. «Et bien que ce soit mon argent, je devais avoir sa permission pour user du carnet de chèque.»François Couchepin. © Le Nouvelliste/ArchivesCe n’est toutefois pas la première fois qu’une telle demande émane du Parlement. En 1945, le Grand Conseil rejette la motion de Peter von Roten pour l’égalité politique entre les sexes. Vingt ans plus tard, les temps ont changé. Le statut de la femme a évolué. Les voix féministes se sont élevées, et les injustices sont dénoncées. «Quand nous nous sommes mariés, nous vivions sur mon salaire d’enseignante comme François était encore étudiant», se souvient Anne-Marie Couchepin. «Et bien que ce soit mon argent, je devais avoir sa permission pour user du carnet de chèque.»

Une autre époque vous dites? A l’échelle de l’humanité, c’était hier.

NULLE PART LA PAIX DES MÉNAGES N’EN A SOUFFERT

Le 2 février 1967, la motion Couchepin est acceptée par le Grand Conseil. Une première victoire pour les partisans – et les partisanes – du suffrage féminin. Mais le chemin est encore long avant la votation populaire où, devrait-on dire, la votation masculine.

Le 22 mai de la même année, le Conseil d’Etat prend position dans son message au Parlement. Morceaux choisis: «Partout où il a été introduit, le suffrage féminin a donné de bons résultats. Ni la paix des ménages ni la dignité de la femme n’en ont souffert.»Partout où il a été introduit, le suffrage féminin a donné de bons résultats. Ni la paix des ménages ni la dignité de la femme n’en ont souffert.

«On doit se demander pourquoi les hommes persistent, en aussi grand nombre, à refuser le droit de vote aux femmes. Il semble qu’il s’agisse d’une question d’égoïsme et de fierté masculine. Peu à peu dépossédés de leurs prérogatives ancestrales de par la force des choses, les hommes s’attachent jalousement à la dernière qui leur reste: l’exercice des droits politiques.»

«Les luttes politiques ont, dans bien des communes, un caractère si âpre et déplaisant que l’homme répugne à y voir les femmes directement mêlées.»

Le texte est signé du président du Conseil d’Etat, Marcel Gross, et du chancelier d’Etat, Norbert Roten. «Tous deux ont été membres du comité cantonal de l’AVPSF», rappelle l’historienne Raphaëlle Ruppen Coutaz, dans son étude «La conquête du suffrage féminin en Valais». Leur conclusion est donc prévisible: «La reconnaissance des droits politiques aux femmes est un postulat de la justice et de la dignité humaine. La femme est, à l’égalité de l’homme, un être humain à part entière, selon l’expression à la mode, et elle a droit à toutes les prérogatives rattachées à la personne.»

En conclusion, le message demande ainsi à la Haute Assemblée «de bien vouloir reconnaître opportune la modification de la Constitution en vue de l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux femmes».

Le Parlement y abonde à l’unanimité moins une voix, celle du conservateur André Savioz. On y reviendra.

TENTATIVES DE SABOTAGE

Sous prétexte de la lenteur des travaux préparatoires, «l’exécutif fait en sorte que les femmes, en admettant que le suffrage soit accepté, ne puissent pas participer aux prochaines élections du Conseil d’Etat et du Grand Conseil», écrit Raphaelle Ruppen Coutaz.

Les discussions sur le suffrage féminin sont reprises en septembre 1967, puis véritablement en novembre 1968. Là, André Savioz clame une nouvelle fois son désaccord: «Il est inutile, aujourd’hui, au Grand Conseil, d’être tous unanimes, tous partisans de l’octroi du suffrage féminin et demain, quand nous serons seuls devant l’urne, nous voterons non. Je préfère dire aujourd’hui que je suis réticent et ne pas tromper ceux qui travaillent honnêtement pour l’introduction du suffrage féminin.»

Un autre député conservateur propose que le suffrage féminin soit d’abord institué au niveau communal et un troisième, craignant d’imposer aux femmes une chose qu’elles ne voudraient pas, glisse l’idée de consulter ces dernières avant de soumettre l’objet en votation.

C’en est trop pour François Couchepin, qui juge ces suggestions inacceptables. «Je pense que les personnes qui veulent véritablement s’opposer au droit de vote des femmes doivent avoir le courage de le dire au lieu de faire des propositions qui sont en fait des actes de sabotage.» Ces propositions sont des actes de sabotage.

L’homme est entendu. Le Parlement accepte à l’unanimité, moins une voix, celle d’André Savioz, de soumettre l’objet en votation. 

Le rendez-vous est pris. Le 12 avril 1970, les Valaisans voteront, et plébisciteront, l’introduction du droit de vote de femmes au niveau cantonal.

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